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LE HERRENFLUH  2/3

LE HERRENFLUH 2/3

Juste en-dessous du Chemin Ingold, le Chemin des Lépiotes permet de gagner rapidement le Chemin du Herrenfluh, et d’accéder tout aussi vite à la stèle Kinck. (Photo P.BR. 2016)

Juste en-dessous du Chemin Ingold, le Chemin des Lépiotes permet de gagner rapidement le Chemin du Herrenfluh, et d’accéder tout aussi vite à la stèle Kinck. (Photo P.BR. 2016)

3.- L’AFFAIRE TROPPMANN

Lorsqu’on descend, à pied, sur le sentier repéré ‘’rectangle rouge-blanc-rouge’’ (balisage du Club Vosgien), qui permet de rejoindre Uffholtz en partant du Herrenfluh, on remarque très vite un panneau indiquant « stèle Jean Kink (1) à 15 m ». Effectivement, après ce bref détour, on découvre une dalle en béton, adossée à un rocher qui porte une petite croix en fer. Une mention est encore à peu près lisible sur cette dalle : « Le cadavre de l’infortuné Jean Kink (1) a été trouvé ici le 25 novembre 1869 ». Le mot ‘’infortuné’’ ne doit hélas rien au hasard, comme on pourra facilement le comprendre en lisant la suite. À la veille de la guerre de 1870, et alors que la France s’apprête à mettre un terme au Second Empire (2), éclate une des plus sordides affaires criminelles de l’époque. Une affaire dont la complexité aurait réjoui le chroniqueur judiciaire Bussenet Frédéric Pottecher, un siècle plus tard. Une affaire dont le nœud se dénoue dans le massif du Herrenfluh !

Mais c’est aux portes de Paris, entre le fort d’Aubervilliers et la gare de Pantin, que l’affaire éclate, par un petit matin de septembre 1869 : un cultivateur découvre par hasard, dans un champ qu’il s’apprête à bêcher (parce qu’il y a encore des prés et des champs à 2 km du cœur de Paris), le corps d’un enfant. En fait, les autorités vite averties ne vont pas tarder à déterrer les corps affreusement mutilés de trois jeunes enfants (2, 6 et 10 ans), celui d’une femme enceinte, et ceux de deux autres enfants (8 et 13 ans). Les enquêteurs découvrent qu’ils appartiennent tous à la même famille, celle de Jean Kinck, lequel demeure introuvable, de même que son fils aîné Gustave, âgé de 22 ans. Voilà donc deux suspects potentiels, pour ce que la presse va vite appeler « le massacre de Pantin ».

Né à Guebwiller en 1826, Jean Kinck avait débuté sa vie professionnelle dans cette ville, comme simple mécano. Puis il avait réussi à monter sa propre affaire à Roubaix, où il s’était fort bien marié, et possédait trois maisons. La famille était aisée, la situation de Jean Kinck enviable, et il avait également une propriété à Buhl où il souhaitait se retirer. Tout cela ne cadrait guère avec les meurtres découverts à Paris.

Nouveau rebondissement, dans le port du Havre : les policiers arrêtent par hasard un jeune homme (qui se prépare à fuir clandestinement aux Etats-Unis) pour défaut de papier, mais ils découvrent dans ses vêtements le portefeuille de Gustave Kinck.

Cet étrange personnage, qui finit par décliner sa véritable identité, Jean-Baptiste Troppmann (3), est rapidement transféré à Paris. Troppmann, né à Brunstatt (4) en 1849, a vécu sa jeunesse à Cernay : enfant de frêle stature mais d’une énergie peu commune, intelligent mais introverti, il travaille comme ouvrier mécanicien dans l’atelier de fabrication de son père, Joseph, lequel dirige la petite société Troppmann et Kambly. Jean-Baptiste se rend bientôt à Roubaix, pour participer au montage d’une nouvelle machine, dans les ateliers de Jean Kinck.

Ce dernier apprécie le travail du jeune homme, mécanicien et alsacien comme lui, et entre eux va se tisser une solide amitié, jusqu’à ce que… Finalement, Troppmann reconnaît avoir participé aux meurtres, mais sans en être lui-même l’auteur : il accuse directement Jean et Gustave Kinck !

Quelques jours plus tard, on découvre pourtant, à une trentaine de mètres des précédents cadavres, celui de Gustave, un couteau planté dans la gorge. Troppmann désigne alors Jean Kinck comme seul meurtrier ! Début octobre, en la ville de Tourcoing, la famille Kinck reçoit des obsèques quasi nationales, devant des dizaines de milliers de personnes ! Pendant ce temps, l’enquête criminelle se poursuit.

La police savait que Jean Kinck s’était rendu en Alsace à la fin du mois d’août, et on ne l’avait pas revu depuis. Elle découvre maintenant que Troppmann s’est lui-aussi rendu en Alsace, à la même date ! Sortis du train à Bollwiller, les deux hommes ont pris l’omnibus jusqu’à Soultz, avant de marcher jusqu’à Wattwiller, où on perd la trace de Jean Kinck. Ce n’est que le 12 novembre que Troppmann passe aux aveux : il déclare s’être rendu avec Kinck vers le Herrenfluh, pour lui montrer un atelier de fausse monnaie. Atelier imaginaire, comme on s’en doute, mais cette sortie dans un site isolé avait permis à Troppmann de faire boire à son ‘’ami’’ un peu de vin, dans lequel il avait versé de l’acide prussique, plus connu sous le nom de cyanure. Jean Kinck mourut instantanément, et Troppmann fit main basse sur ses papiers, son argent et des chèques, avant d’enterrer sommairement le cadavre. L’assassin avait pensé s’approprier les 5 500 francs que Kinck avait dit devoir emporter et que, par prudence, il n’avait pas pris sur lui en argent, Troppmann ne trouvant sur le cadavre que 212 francs et une montre en or.

Troppmann raconte qu’il a ensuite essayé de se faire envoyer de l’argent par Mme Kinck, argent qu’il ne parviendra pas à toucher. Puis comment il a réussi à attirer à Paris d’abord Gustave, qui sera sa première victime, puis le reste de la famille, en annonçant qu’ils allaient revoir Jean. Personne ne se méfiait, croyant que Jean-Baptiste Troppmann était leur ami ! « J’ai tué Kinck pour m’emparer de l’argent qu’il m’avait dit avoir de son banquier », explique Troppmann aux enquêteurs. Et le monstre d’ajouter : « C’était une nécessité pour moi de tuer tous les autres membres de la famille afin de supprimer tous les témoins ». L’assassin avait tout juste 20 ans !

Le corps de Jean Kinck a été découvert un peu plus tard, en contrebas du Herrenfluh. Troppmann, reconnu coupable de tous les huit meurtres, est condamné à mort après cinq jours de procès en assises. Sa grâce ayant été refusée par l’Empereur, il est guillotiné au matin du 19 janvier 1870, place de la Roquette, face à la prison de la Conciergerie à Paris. Il trouve encore la force de mordre l’index de son bourreau, au moment où celui-ci bascule la planche ! Troppmann est inhumé au cimetière d’Ivry.

Plusieurs ouvrages ont relaté cette l’histoire, pleine de rebondissements et de suspense, qui reste l’une des affaires les plus sensationnelles du Second Empire, dont les difficultés de fin de règne auront un temps été mises en retrait de l'actualité. Elle fit la fortune du « Petit Journal » qui, flairant le bon coup et tenant en haleine ses nombreux lecteurs, tripla régulièrement son tirage, ce qui développa la couverture de presse des faits divers et des exécutions par les journaux populaires. Les détails curieux de ce meurtre multiple, les rebondissements qui précédent l'arrestation de l'assassin, sa personnalité ambiguë, trouvent également un large écho auprès des romanciers de l'époque assistant notamment au procès (Flaubert, Alexandre Dumas, Barbey d'Aurevilly, Lautréamont, Rimbaud). On se bouscule pour assister à l’exécution, et le Russe Tourgueniev, de passage à Paris, est présent au ‘’spectacle’’. Rajoutons que cette affaire a aussi donné naissance à diverses théories du complot, - des complots tous venus des États d’Allemagne du sud ou de Prusse, et dirigés contre la France, naturellement.

Sources :

Notes :

  1. Le Club Vosgien a opté pour l’orthographe « Kink » ; nous lui préférerons l’orthographe « Kinck », utilisée par toute la presse de l’époque et les documents officiels. Ajoutons qu’un document audio de l’INA n’hésite pas à mentionner à de nombreuses reprises « Kirk » !
  2. Le Second Empire est le système constitutionnel et politique instauré en France le 2 décembre 1852 lorsque Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République française, devient Napoléon III, empereur des Français. Ce gouvernement de type Monarchie constitutionnelle a été dissout en 1870.
  3. Parfois orthographié « Tropmann ».
  4. Certains documents le disent né à Cernay.
Jean-Baptiste Troppmann

Jean-Baptiste Troppmann

LE HERRENFLUH  2/3
Le panneau indicateur de la stèle, un peu plus bas que le joliment nommé « Chemin des Lépiotes », et environ 50 m en dessous de l’étrange morceau de guidon de vélo enfoncé dans un arbre, bien connu des randonneurs du secteur. Pour la petite histoire, le sentier qui monte d’Uffholtz vers le Herrenfluh s’est longtemps appelé « Kinkpfad », ou Sentier Kink.  (Photo P.BR. 2016)

Le panneau indicateur de la stèle, un peu plus bas que le joliment nommé « Chemin des Lépiotes », et environ 50 m en dessous de l’étrange morceau de guidon de vélo enfoncé dans un arbre, bien connu des randonneurs du secteur. Pour la petite histoire, le sentier qui monte d’Uffholtz vers le Herrenfluh s’est longtemps appelé « Kinkpfad », ou Sentier Kink. (Photo P.BR. 2016)

La stèle Jean Kinck : l’inscription aurait été gravée par J. Merckle(n) à Cernay. Ce doit être une dalle « de récupération », car on voit bien les marques d’une ancienne plaque, qui a été enlevée, et même les traces d’une autre inscription gravée, plus ancienne. La petite croix en fer est plantée dans un rocher de granit, auquel s’adosse la dalle. (Photo P.BR. 2016)

La stèle Jean Kinck : l’inscription aurait été gravée par J. Merckle(n) à Cernay. Ce doit être une dalle « de récupération », car on voit bien les marques d’une ancienne plaque, qui a été enlevée, et même les traces d’une autre inscription gravée, plus ancienne. La petite croix en fer est plantée dans un rocher de granit, auquel s’adosse la dalle. (Photo P.BR. 2016)