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LE HERRENFLUH 1/3

LE HERRENFLUH 1/3

LE MASSIF DU HERRENFLUH : petite contribution à la découverte d’un site protégé

Le Herrenfluh est une petite montagne au-dessus d’Uffholtz. Le Herrenfluh, ce sont d’abord les maigres ruines d’un ancien château fort du Moyen-Âge ; ce fut aussi l’endroit du dénouement d’une sordide affaire criminelle, dans la seconde moitié du 19ème siècle ; et il abrita encore un observatoire de l’artillerie française, qui joua un rôle important en 1915, lors des combats au HWK. Le Herrenfluh est aujourd’hui un site remarquable et protégé, à découvrir avec modération…

Pierre BRUNNER, Cernay, avril 2016

PLAN :

  1. Situation, accès
  2. Le château
  3. L’affaire Troppmann
  4. Le poste d’observation
  5. En guise de postface
Les ruines du château du Herrenfluh, vues depuis le bord de la route D 431

Les ruines du château du Herrenfluh, vues depuis le bord de la route D 431

1.- SITUATION, ACCÈS

On accède facilement au site du Herrenfluh depuis le village d’Uffholtz, à côté de Cernay : prendre la route départementale D 431, en direction de la Route des Crêtes et du Hartmannswillerkopf (Vieil-Armand). Comme il n’y a quasiment pas de place pour stationner à proximité immédiate des ruines, et que la route dessine à cet endroit un virage en épingle à cheveu serré, il vaudra mieux laisser la voiture 200m plus bas, à l’entrée du Chemin Ingold (panneau vert très visible, sur la gauche en montant), ou 150 m plus loin, sur le parking du Col de Herrenfluh (également sur la gauche en montant), qui est aussi le point de départ de la petite route menant à la ferme-auberge du Molkenrain. Après être (re)devenu piéton, on arrive très simplement à la partie Ouest du site, en suivant le bord de la route D 431 jusqu’à l’épingle à cheveu : l’ancien château n’est alors qu’à deux ou trois minutes, sur la droite dans le sens de la montée. Attention : la grimpée jusqu’à la partie sommitale des ruines est un peu périlleuse, et n’offre aucune protection. Pourtant, le panorama exceptionnel sur la plaine d’Alsace récompensera largement ces efforts ! Précisons que la route D 431 est fermée à la circulation durant la saison hivernale.

Pour les courageux qui préfèrent réaliser toute l’ascension à pied, on accède au site, depuis le haut du village d’Uffholtz, par l’itinéraire repéré ‘’rectangle rouge-blanc-rouge’’ (balisage du Club Vosgien), direction chapelle St-Antoine (on passe juste à côté) et Col de Herrenfluh. On peut aussi accéder depuis Cernay par le plateau de la Loh (réservoir d’eau), puis par le chemin repéré ‘’plus bleu’’ (balisage du Club Vosgien), et baptisé ensuite Chemin Ingold. Dans les deux cas, il faudra rejoindre la D 431, un peu avant d’arriver au col. De l’autre côté de cette route, on prendra ensuite, juste un peu en contre-bas, le très agréable chemin forestier du Herrenfluh (panneau vert très visible, au bord de la route), qui est à suivre sur 1,5 km environ. A un moment, on devinera une sente qui monte fortement sur la gauche, en suivant la limite entre les bans d’Uffholtz et Wattwiller, - limite matérialisée par des peintures blanches et bleues sur les arbres. De bonnes chaussures sont indispensables et, après être passé par les deux fortins d’observation de la guerre 1914-1918, on arrive sur le flan Est du site, le plus intéressant à notre avis.

Il faut savoir que les chênaies et affleurements rocheux du Herrenfluh et environs ont été classés au plan national en ZNIEFF, zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique, par le Muséum national d’Histoire Naturelle. Cela implique évidemment un respect rigoureux de l’environnement ; et cela explique l’absence de signalétique, pour un secteur qui ne manque pourtant pas d’intérêts. Une ZNIEFF ne peut pas vivre et perdurer sans une certaine discrétion, que chacun aura à cœur de respecter !

LE HERRENFLUH 1/3
Carte de randonnée Thann Masevaux n° 3620 ET, IGN-CV.  P1 : ‘’parking’‘ chemin Ingold  P2 : parking col de Herrenfluh  Chât-rne : château en ruine

Carte de randonnée Thann Masevaux n° 3620 ET, IGN-CV. P1 : ‘’parking’‘ chemin Ingold P2 : parking col de Herrenfluh Chât-rne : château en ruine

Dessin simplifié du massif du Molkenrain jusqu’au Hartmannswillerkopf, depuis Uffholtz ou Wattwiller, montrant la ruine du Herrenfluh - l’altitude indiquée ici est un peu sous-estimée, elle est en réalité de 858 m - et la stèle Jean Kin(c)k. (Illustration Cyrille Meyer, Strasbourg)

Dessin simplifié du massif du Molkenrain jusqu’au Hartmannswillerkopf, depuis Uffholtz ou Wattwiller, montrant la ruine du Herrenfluh - l’altitude indiquée ici est un peu sous-estimée, elle est en réalité de 858 m - et la stèle Jean Kin(c)k. (Illustration Cyrille Meyer, Strasbourg)

2.- LE CHÂTEAU

L’éperon rocheux, sur lequel le château du Herrenfluh a été construit, est à 858 mètres d’altitude, sur le ban de la commune d’Uffholtz (certains sites Internet désignent la commune de Wattwiller, mais c’est une erreur).

Au départ de ce château, il y a une histoire embrouillée entre les Comtes de Ferrette et l’Abbaye de Murbach : les premiers étaient censés défendre les terres de l’Abbaye, mais ils se sont bientôt arrogé le droit de construire des châteaux sur ces terres ! Ainsi le premier château du Herrenfluh (1), construit par le comte Ulric III de Ferrette, pourrait avoir vu le jour dès 1250, d’après la tradition usuelle. Mais ce château aurait été vite ruiné…

En l’an 1312, une date qui fait l’unanimité parmi les historiens, le comte de Ferrette inféode (2) Johan von Sankt Amarin (Jean de Saint-Amarin), dit Nortwind (vent du nord !), pour qu’il s’y installe. Et qu’il reconstruise l’édifice en perdition, ou qu’il y fasse bâtir le vrai château originel, c’est selon les versions. Toujours est-il que l’abbé de Murbach reconnaît bientôt le nouvel arrivant, et lui promet même une aide financière substantielle : on parle de 100 marcs d’argent pour l’aider dans sa tâche, ce qui est attesté par une charte dite de Burgstall. « Stall » est un drôle de mot associé au château-fort (Burg), puisqu’il désigne une étable, ou une écurie, voire même un poulailler. « Burgstall » pourrait donc faire référence au premier château ruiné évoqué ci-dessus, mais l’historien Bernard Metz propose courageusement comme traduction pour Burgstall : château à construire !

Pourquoi avoir édifié (ou fait édifier) un château en un tel lieu, loin de toute habitation et voie de communication ? Un tel site était tout sauf une sinécure, et en hiver cela devait vite tourner au cauchemar (Herrenfluch). En fait, l’abbaye de Murbach affectionnait les châteaux d’altitude, dont le seul but était d’assurer la défense de ses immenses territoires ! Et c’est bien grâce à l’aide importante consentie en 1312 que le Herrenfluh se retrouve, une trentaine d’années plus tard, complètement sous la tutelle de l’abbaye de Murbach, qui en récupère la pleine jouissance.

Cette apparente bonne opération avait été rendue possible par des changements de propriétaires. En effet, les Habsbourg, dignes héritiers des Ferrette au Herrenfluh, ont finalement renoncé à leurs droits sur ce château, en 1324. Mais en réalité, le placement de l’abbé de Murbach n’a guère été fructueux… Car, par la suite, et même si les versions divergent comme pour la genèse du château, le Herrenfluh n’a pas fait long feu, si l’on peut dire ! Il aurait d’abord été incendié par les Armagnacs, dont les troupes étaient conduites par Enguerrand de Coucy, en 1376. Il aurait ensuite été reconstruit, en étant inféodé successivement aux familles Stoer et Landenberg. Cela ne l’empêcha pas d’être définitivement ruiné et détruit par les troupes Suisses, en 1468. L’historien Bernard Metz (encore lui !), qui conteste ces destructions successives, pense néanmoins que le Herrenfluh était déjà abandonné depuis longtemps au milieu du 16ème siècle : on le cite en effet comme étant en ruines dès 1550, des ruines qui ne seront jamais relevées.

On reparlera pourtant du site du Herrenfluh à la fin du Second Empire, à l’occasion d’une affaire criminelle qui suscita un impact médiatique retentissant, et ce malgré l’absence à cette époque des chaînes télévisées d’information en continue. L’affaire Troppmann est évoquée ci-dessous.

Enfin, lors des combats de la Première Guerre Mondiale au tout proche HWK, Hartmannswillerkopf (nom francisé à l’époque en « Vieil-Armand »), le Herrenfluh servit de poste d’observation pour l’artillerie française. Pas le château, mais le piton rocheux sur lequel il avait été construit. Quelques sites Internet évoquent de fait la destruction des ruines du château par des obus allemands, particulièrement en 1915. C’est bien possible, car la présence de l’observatoire a attiré les foudres ennemies, comme nous le montrerons dans la dernière partie de cette étude.

Il est aujourd’hui bien difficile d’imaginer ce que fut la taille réelle de l’ancien château, entre le 13ème et le 16ème siècle. Tout le sommet du massif du Herrenfluh porte des restes de murailles rocheuses, qui pourraient avoir été utilisées comme autant de contreforts. Quelques failles rocheuses, dont la plus profonde est bien visible en arrivant depuis la D 431, évoquent des fossés. Ce que l’on peut dire, en reprenant les termes de l’inventaire du patrimoine en Alsace établi en 1998, c’est qu’il ne subsiste pas grand-chose de cette « construction médiocre, ne comprenant qu’un corps de logis dominant une petite bassecour ». Tiens donc, et peut-être pas par hasard, on retrouve ici l’idée d’animaux, évoquée par le nom allemand de Stall cité plus haut, et tant pis pour M. Metz !

Actuellement donc, il ne subsiste du château du Herrenfluh que la base en moellons d’une tour d’habitation (on parle parfois de donjon), dont la partie supérieure s’est effondrée il y a une bonne trentaine d’années, mais qui est bien visible en arrivant de la route par le versant Ouest. Il reste aussi un pan de mur, façon corps de logis, sur la partie sommitale, facilement accessible en arrivant à pied par le chemin d’en bas, côté Est. S’y ajoutent divers éléments de soubassement, et les fossés encombrés d’éboulis. Il faut mentionner enfin, et surtout, que depuis le pan de mur sommital, la vue sur la plaine d’Alsace est fort belle ; et lorsqu’on parvient à grimper jusqu’à la base de la « tour », le panorama sur la plaine et le tout proche massif du HWK est rien moins qu’exceptionnel !

Sources :

  • Jean-Marie Nick, association « Châteaux forts et villes fortifiées d’Alsace ».
  • article « Uffholtz » sur Wikipédia, et bulletin de l’équipe municipale « L’Egelblatt », fév. 2016.
  • « Massif du Molkenrain », cercle cartophile de Thann et de la vallée de la Thur, 2008.
  • l’inventaire du patrimoine en Alsace, un site de l’ex Région Alsace.
  • « Les châteaux-forts d’Alsace » de Durlewanger, éditions Mars et Mercure, Strasbourg, 1972.
  • « Kastel Elsass ».
  • j57oihy.blogspot.fr (pour les photos, août 2014)
  • https://inpn.mnhn.fr/docs/ZNIEFF/znieffpdf/420030192.pdf (pour la ZNIEFF).

Notes :

  1. Le nom Herrenfluh pourrait se traduire par « les prairies (ou les bois) des seigneurs », mais aussi désigner « la malédiction des maîtres » (Herrenfluch). A Uffholtz-même, le château était d’ailleurs jadis appelé Herraflüech, ce qui évoque un « seigneur maudit ».
  2. Inféoder : gratifier, valoriser un vassal au moyen d’une terre donnée en fief : par cet acte, Nortwind se retrouve lié au comte de Ferrette, auquel il devra rendre certains services.
Le panorama sur la plaine d’Alsace, depuis les ruines (corps de logis) du Herrenfluh.

Le panorama sur la plaine d’Alsace, depuis les ruines (corps de logis) du Herrenfluh.

Les restes en moellons de la tour d’habitation.

Les restes en moellons de la tour d’habitation.

Le reste d’un pan de mur, sur la partie sommitale.

Le reste d’un pan de mur, sur la partie sommitale.

Les restes d’un probable fossé.

Les restes d’un probable fossé.

Les restes de la tour, vers 1980.

Les restes de la tour, vers 1980.

Page extraite de la revue « Massif du Molkenrain » éditée par le Cercle Cartophile de Thann et de la vallée de la Thur, par Denis Schott & Tharcise Meyer, bulletin N°4, 2008 (s.d. = sans date).

Page extraite de la revue « Massif du Molkenrain » éditée par le Cercle Cartophile de Thann et de la vallée de la Thur, par Denis Schott & Tharcise Meyer, bulletin N°4, 2008 (s.d. = sans date).