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LTD RANDO 68
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TOUT CE QUE VOUS VOULEZ SAVOIR SUR LE HERRENFLUH

TOUT CE QUE VOUS VOULEZ SAVOIR SUR LE HERRENFLUH

LE MILLION LTD : SÉQUENCE SOUVENIR

Comme le fameux MILLION (de lecteurs sur le blog) se rapproche à grands pas, j’ai choisi de reprendre les premières randonnées et de les refaire : c’est LE MILLION LTD : SÉQUENCE SOUVENIR. → En plus des randonnées, il y aura aussi la reprise des DÉCOUVERTES qui ont marqué le blog : une par mois, voici la première !

Cette ‘‘Découverte’’ est d’autant plus importante pour le blog qu’elle a été à l’origine de son démarrage ! Parue en 3 parties le 27 avril 2016, il y a bientôt 9 ans, elle est rassemblée ici en 1 seule publication et attention, c’est plutôt long... Sinon, pour le détail, voir les liens :

  1. LE HERRENFLUH 1/3, lien https://ltd-rando68.over-blog.com/2016/04/le-massif-du-herrenfluh-1-2.html
  2. LE HERRENFLUH 2/3, lien https://ltd-rando68.over-blog.com/2016/04/le-massif-du-herrenfluh-2-2.html
  3. LE HERRENFLUH 3/3, lien https://ltd-rando68.over-blog.com/2016/04/le-massif-du-herrenfluh-en-images.html

 

LE MASSIF DU HERRENFLUH : petite contribution à la découverte d’un site protégé

Le Herrenfluh est une petite montagne au-dessus d’Uffholtz. Le Herrenfluh, ce sont d’abord les maigres ruines d’un ancien château fort du Moyen-Âge ; ce fut aussi l’endroit du dénouement d’une sordide affaire criminelle, dans la seconde moitié du 19ème siècle ; et il abrita encore un observatoire de l’artillerie française, qui joua un rôle important en 1915, lors des combats au HWK. Le Herrenfluh est aujourd’hui un site remarquable et protégé, à découvrir avec modération…

Pierre BRUNNER, Cernay, avril 2016 ~ Vieux-Thann, avril 2025.

Les ruines du château du Herrenfluh, vues depuis le bord de la route D 431 : on voit ici les restes en moellons de la tour d’habitation. (Photo archives LTD RANDO)

Les ruines du château du Herrenfluh, vues depuis le bord de la route D 431 : on voit ici les restes en moellons de la tour d’habitation. (Photo archives LTD RANDO)

PLAN :    

  • Situation, accès
  • Le château
  • L’affaire Troppmann
  • Le poste d’observation
  • En guise de postface

1.- SITUATION, ACCÈS

On accède facilement au site du Herrenfluh depuis le village d’Uffholtz, à côté de Cernay : prendre la route départementale D 431, en direction de la Route des Crêtes et du Hartmannswillerkopf (Vieil-Armand). Comme il n’y a pas de place pour stationner à proximité immédiate des ruines, la route dessinant à cet endroit un virage un peu serré, on laissera la voiture 150 m plus loin, sur le parking du Col de Herrenfluh (sur la gauche en montant), qui est aussi le point de départ de la petite route menant à la ferme-auberge du Molkenrain et au refuge des Amis de la Nature (UTAN). Après être (re)devenu piéton, on arrive très simplement à la partie Ouest du site, en suivant le bord de la route jusqu’au virage, voir le trait violet sur le plan d’accès : l’ancien château n’est alors qu’à deux ou trois minutes, sur la gauche. Attention : la grimpée jusqu’à la partie sommitale des ruines est un peu périlleuse et n’offre aucune protection. Pourtant, le panorama exceptionnel sur la plaine d’Alsace récompensera largement ces efforts !

PLAN D’ACCÈS :

TOUT CE QUE VOUS VOULEZ SAVOIR SUR LE HERRENFLUH

Pour les courageux qui préfèrent réaliser toute l’ascension à pied, on accède au site, depuis le haut du village d’Uffholtz, par l’itinéraire repéré ‘’rectangle rouge-blanc-rouge’’ (balisage du Club Vosgien), direction chapelle St-Antoine (on passe juste à côté) et Col de Herrenfluh. Il faudra rejoindre la D 431, un peu avant d’arriver au col : de l’autre côté, on prendra ensuite, juste un peu en contre-bas, le très agréable chemin forestier du Herrenfluh (panneau vert très visible, au bord de la route) voir le trait violet sur le plan d’accès, qui est à suivre sur 1,5 km environ. A un moment, on devinera une sente qui monte fortement sur la gauche, en suivant la limite entre les bans d’Uffholtz et Wattwiller, - limite matérialisée par des peintures blanches et bleues sur les arbres. De bonnes chaussures sont indispensables et, après être passé par les deux fortins d’observation de la guerre 1914-1918, on arrive sur le flan Est du site, le plus intéressant à mon avis.

Les chênaies et affleurements rocheux du Herrenfluh et environs ont été classés au plan national en ZNIEFF, zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique, par le Muséum national d’Histoire Naturelle. Cela implique évidemment un respect rigoureux de l’environnement ; et cela explique l’absence de signalétique, pour un secteur qui ne manque pourtant pas d’intérêts. Une ZNIEFF ne peut pas vivre et perdurer sans une certaine discrétion, que chacun aura à cœur de respecter !

Le panorama sur la plaine d’Alsace, depuis les ruines (corps de logis) du Herrenfluh. (Photo archives LTD RANDO)

Le panorama sur la plaine d’Alsace, depuis les ruines (corps de logis) du Herrenfluh. (Photo archives LTD RANDO)

2.- LE CHÂTEAU

L’éperon rocheux, sur lequel le château du Herrenfluh a été construit, est à 858 mètres d’altitude, sur le ban de la commune d’Uffholtz (certains sites Internet désignent la commune de Wattwiller, mais c’est semble-t-il une erreur).

Au départ de ce château, il y a une histoire embrouillée entre les Comtes de Ferrette et l’Abbaye de Murbach : les premiers étaient censés défendre les terres de l’Abbaye, mais ils se sont bientôt arrogé le droit de construire des châteaux sur ces terres ! Ainsi le premier château du Herrenfluh (1), construit par le comte Ulric III de Ferrette, pourrait avoir vu le jour dès 1250, d’après la tradition usuelle. Mais ce château aurait été vite ruiné…

En l’an 1312, une date qui fait l’unanimité parmi les historiens, le comte de Ferrette inféode (2) Johan von Sankt Amarin (Jean de Saint-Amarin), dit Nortwind (vent du nord !), pour qu’il s’y installe. Et qu’il reconstruise l’édifice en perdition, ou qu’il y fasse bâtir le vrai château originel, c’est selon les versions. Toujours est-il que l’abbé de Murbach reconnaît bientôt le nouvel arrivant, et lui promet même une aide financière substantielle : on parle de 100 marcs d’argent pour l’aider dans sa tâche, ce qui est attesté par une charte dite de Burgstall. ‘‘Stall’’ est un drôle de mot associé au château-fort (Burg), puisqu’il désigne une étable, ou une écurie, voire même un poulailler. ‘‘Burgstall’’ pourrait donc faire référence au premier château ruiné évoqué ci-dessus, mais l’historien Bernard Metz propose plutôt comme traduction pour Burgstall : château à construire.

Pourquoi avoir édifié (ou fait édifier) un château en un tel lieu, loin de toute habitation et voie de communication ? Un pareil site était tout sauf une sinécure, et en hiver cela devait vite tourner au cauchemar (Herrenfluch). En fait, l’abbaye de Murbach affectionnait les châteaux d’altitude, dont le seul but était d’assurer la défense de ses immenses territoires ! Et c’est bien grâce à l’aide importante consentie en 1312 que le Herrenfluh se retrouve, une trentaine d’années plus tard, complètement sous la tutelle de l’abbaye de Murbach, qui en récupère la pleine jouissance.

Cette apparente bonne opération avait été rendue possible par des changements de propriétaires. En effet, les Habsbourg, dignes héritiers des Ferrette au Herrenfluh, ont finalement renoncé à leurs droits sur ce château, en 1324. Mais en réalité, le placement de l’abbé de Murbach n’a guère été fructueux… Car, par la suite, et même si les versions divergent comme pour la genèse du château, le Herrenfluh n’a pas fait long feu, si l’on peut dire ! Il aurait d’abord été incendié par les Armagnacs en 1376. Il aurait ensuite été reconstruit, en étant inféodé successivement aux familles Stoer et Landenberg. Cela ne l’empêcha pas d’être définitivement ruiné et détruit par les troupes Suisses, en 1468. L’historien Bernard Metz (encore lui), qui conteste ces destructions successives, pense néanmoins que le Herrenfluh était déjà abandonné depuis longtemps au milieu du 16è siècle : on le cite en effet comme étant en ruines dès 1550, des ruines qui ne seront jamais relevées.

Il est aujourd’hui bien difficile d’imaginer ce que fut la taille réelle de l’ancien château, entre le 13è et le 16è siècle. Tout le sommet du massif du Herrenfluh porte des restes de murailles rocheuses, qui pourraient avoir été utilisées comme autant de contreforts. Quelques failles rocheuses, dont la plus profonde est bien visible en arrivant depuis la D 431, évoquent des fossés. Ce que l’on peut dire, en reprenant les termes de l’inventaire du patrimoine en Alsace établi en 1998, c’est qu’il ne subsiste pas grand-chose de cette ‘‘construction médiocre, ne comprenant qu’un corps de logis dominant une petite bassecour’’.

Les restes de la tour, vers 1980. (Photo DR)

Les restes de la tour, vers 1980. (Photo DR)

Actuellement donc, il ne subsiste du château du Herrenfluh que la base en moellons d’une tour d’habitation (on parle parfois de donjon), dont la partie supérieure s’est effondrée il y a une quarantaine d’années, mais qui est bien visible en arrivant de la route par le versant Ouest. Il reste aussi un pan de mur, façon corps de logis, sur la partie sommitale, facilement accessible en arrivant à pied par le chemin d’en bas, côté Est. S’y ajoutent divers éléments de soubassement, et les fossés encombrés d’éboulis. Il faut mentionner enfin, et surtout, que depuis le pan de mur sommital, la vue sur la plaine d’Alsace est fort belle ; et lorsqu’on parvient à grimper jusqu’à la base de la ‘‘tour’’, le panorama sur la plaine et le tout proche massif du HWK est rien moins qu’exceptionnel !

Sources :

  • Jean-Marie Nick, association ‘‘Châteaux forts et villes fortifiées d’Alsace’’.
  • Article ‘‘Uffholtz’’ sur Wikipédia, et bulletin de l’équipe municipale ‘‘L’Egelblatt’’, fév. 2016.
  • ‘‘Massif du Molkenrain’’, cercle cartophile de Thann et de la vallée de la Thur, 2008.
  • L’inventaire du patrimoine en Alsace, un site de l’ex Région Alsace.
  • ‘‘Les châteaux-forts d’Alsace’’ de Durlewanger, éditions Mars et Mercure, Strasbourg, 1972.
  • ‘‘Kastel Elsass’’.

Notes :

  • (1) Le nom Herrenfluh pourrait se traduire par ‘‘les prairies (ou les bois) des seigneurs’’, mais aussi désigner ‘‘la malédiction des maîtres’’ (Herrenfluch). A Uffholtz-même, le château était d’ailleurs jadis appelé Herraflüech, ce qui évoque un ‘‘seigneur maudit’’.
  • (2) Inféoder : gratifier, valoriser un vassal au moyen d’une terre donnée en fief : par cet acte, Nortwind se retrouve lié au comte de Ferrette, auquel il devra rendre certains services.

3.- L’AFFAIRE TROPPMANN

Lorsqu’on descend, à pied, sur le sentier repéré ‘’rectangle rouge-blanc-rouge’’ (balisage du Club Vosgien), qui permet de rejoindre Uffholtz en partant du Herrenfluh, on remarque très vite un panneau indiquant ‘‘stèle Jean Kink (1) à 15 m’’. Effectivement, après ce bref détour, on découvre une dalle en béton, adossée à un rocher qui porte une petite croix en fer. Une mention est encore à peu près lisible sur cette dalle : ‘‘Le cadavre de l’infortuné Jean Kink (1) a été trouvé ici le 25 novembre 1869’’. Le mot ‘’infortuné’’ ne doit hélas rien au hasard, comme on pourra facilement le comprendre en lisant la suite. À la veille de la guerre de 1870, et alors que la France s’apprête à mettre un terme au Second Empire (2), éclate une des plus sordides affaires criminelles de l’époque. Une affaire dont la complexité aurait réjoui le chroniqueur judiciaire Bussenet Frédéric Pottecher, un siècle plus tard. Une affaire dont le nœud se dénoue dans le massif du Herrenfluh !

Mais c’est aux portes de Paris, entre le fort d’Aubervilliers et la gare de Pantin, que l’affaire éclate, par un petit matin de septembre 1869 : un cultivateur découvre par hasard, dans un champ qu’il s’apprête à bêcher (parce qu’il y a encore des prés et des champs à 2 km du cœur de Paris), le corps d’un enfant. En fait, les autorités vite averties ne vont pas tarder à déterrer les corps affreusement mutilés de trois jeunes enfants (2, 6 et 10 ans), celui d’une femme enceinte, et ceux de deux autres enfants (8 et 13 ans). Les enquêteurs découvrent qu’ils appartiennent tous à la même famille, celle de Jean Kinck, lequel demeure introuvable, de même que son fils aîné Gustave, âgé de 22 ans. Voilà donc deux suspects potentiels, pour ce que la presse va vite appeler ‘‘le massacre de Pantin’’.

Né à Guebwiller en 1826, Jean Kinck avait débuté sa vie professionnelle dans cette ville, comme simple mécano. Puis il avait réussi à monter sa propre affaire à Roubaix, où il s’était fort bien marié, et possédait trois maisons. La famille était aisée, la situation de Jean Kinck enviable, et il avait également une propriété à Buhl où il souhaitait se retirer. Tout cela ne cadrait guère avec les meurtres découverts à Paris.

Jean-Baptiste Troppmann, photographié dans la cour de la prison Mazas le 9 octobre 1869. (Document Wikipédia, origine inconnue)

Jean-Baptiste Troppmann, photographié dans la cour de la prison Mazas le 9 octobre 1869. (Document Wikipédia, origine inconnue)

Nouveau rebondissement, dans le port du Havre : les policiers arrêtent par hasard un jeune homme (qui se prépare à fuir clandestinement aux Etats-Unis) pour défaut de papier, mais ils découvrent dans ses vêtements le portefeuille de Gustave Kinck. Cet étrange personnage, qui finit par décliner sa véritable identité, Jean-Baptiste Troppmann (3), est rapidement transféré à Paris. Troppmann, né à Brunstatt (4) en 1849, a vécu sa jeunesse à Cernay : enfant de frêle stature mais d’une énergie peu commune, intelligent mais introverti, il travaille comme ouvrier mécanicien dans l’atelier de fabrication de son père, Joseph, lequel dirige la petite société Troppmann et Kambly. Jean-Baptiste se rend bientôt à Roubaix, pour participer au montage d’une nouvelle machine, dans les ateliers de Jean Kinck.

Ce dernier apprécie le travail du jeune homme, mécanicien et alsacien comme lui, et entre eux va se tisser une solide amitié, jusqu’à ce que… Finalement, Troppmann reconnaît avoir participé aux meurtres, mais sans en être lui-même l’auteur : il accuse directement Jean et Gustave Kinck ! Quelques jours plus tard, on découvre pourtant, à une trentaine de mètres des précédents cadavres, celui de Gustave, un couteau planté dans la gorge. Troppmann désigne alors Jean Kinck comme seul meurtrier ! Début octobre, en la ville de Tourcoing, la famille Kinck reçoit des obsèques quasi nationales, devant des dizaines de milliers de personnes ! Pendant ce temps, l’enquête criminelle se poursuit.

La police savait que Jean Kinck s’était rendu en Alsace à la fin du mois d’août, et on ne l’avait pas revu depuis. Elle découvre maintenant que Troppmann s’est lui-aussi rendu en Alsace, à la même date ! Sortis du train à Bollwiller, les deux hommes ont pris l’omnibus jusqu’à Soultz, avant de marcher jusqu’à Wattwiller, où on perd la trace de Jean Kinck. Ce n’est que le 12 novembre que Troppmann passe aux aveux : il déclare s’être rendu avec Kinck vers le Herrenfluh, pour lui montrer un atelier de fausse monnaie. Atelier imaginaire, comme on s’en doute, mais cette sortie dans un site isolé avait permis à Troppmann de faire boire à son ‘’ami’’ un peu de vin, dans lequel il avait versé de l’acide prussique, plus connu sous le nom de cyanure. Jean Kinck mourut instantanément, et Troppmann fit main basse sur ses papiers, son argent et des chèques, avant d’enterrer sommairement le cadavre. L’assassin avait pensé s’approprier les 5 500 francs que Kinck avait dit devoir emporter et que, par prudence, il n’avait pas pris sur lui en argent, Troppmann ne trouvant sur le cadavre que 212 francs et une montre en or.

Troppmann raconte qu’il a ensuite essayé de se faire envoyer de l’argent par Mme Kinck, argent qu’il ne parviendra pas à toucher. Puis comment il a réussi à attirer à Paris d’abord Gustave, qui sera sa première victime, puis le reste de la famille, en annonçant qu’ils allaient revoir Jean. Personne ne se méfiait, croyant que Jean-Baptiste Troppmann était leur ami ! ‘‘J’ai tué Kinck pour m’emparer de l’argent qu’il m’avait dit avoir de son banquier’’, explique Troppmann aux enquêteurs. Et le monstre d’ajouter : ‘‘C’était une nécessité pour moi de tuer tous les autres membres de la famille afin de supprimer tous les témoins’’. L’assassin avait tout juste 20 ans !

Le corps de Jean Kinck a été découvert un peu plus tard, en contrebas du Herrenfluh. Troppmann, reconnu coupable de tous les huit meurtres, est condamné à mort après cinq jours de procès en assises. Sa grâce ayant été refusée par l’Empereur, il est guillotiné au matin du 19 janvier 1870, place de la Roquette, face à la prison de la Conciergerie à Paris. Il trouve encore la force de mordre l’index de son bourreau, au moment où celui-ci bascule la planche ! Troppmann est inhumé au cimetière d’Ivry.

Plusieurs ouvrages ont relaté cette l’histoire, pleine de rebondissements et de suspense, qui reste l’une des affaires les plus sensationnelles du Second Empire, dont les difficultés de fin de règne auront un temps été mises en retrait de l'actualité. Elle fit la fortune du ‘‘Petit Journal’’ qui, flairant le bon coup et tenant en haleine ses nombreux lecteurs, tripla régulièrement son tirage, ce qui développa la couverture de presse des faits divers et des exécutions par les journaux populaires. Les détails curieux de ce meurtre multiple, les rebondissements qui précédent l'arrestation de l'assassin, sa personnalité ambiguë, trouvent également un large écho auprès des romanciers de l'époque assistant notamment au procès (Flaubert, Alexandre Dumas, Barbey d'Aurevilly, Lautréamont, Rimbaud). On se bouscule pour assister à l’exécution, et le Russe Tourgueniev, de passage à Paris, est présent au ‘’spectacle’’. Rajoutons que cette affaire a aussi donné naissance à diverses théories du complot, - des complots tous venus des États d’Allemagne du sud ou de Prusse, et dirigés contre la France, naturellement.

Jugement et condamnation de Tropmann (sic), image d'Épinal, 1870. (Source : Wikipédia)

Jugement et condamnation de Tropmann (sic), image d'Épinal, 1870. (Source : Wikipédia)

Sources :

Notes :

  • (1) Le Club Vosgien a opté pour l’orthographe ‘‘Kink’’ ; je lui préfère l’orthographe ‘‘Kinck’’, utilisée par toute la presse de l’époque et les documents officiels. Ajoutons qu’un document audio de l’INA n’hésite pas à mentionner à de nombreuses reprises ‘‘Kirk’’ !
  • (2) Le Second Empire est le système constitutionnel et politique instauré en France le 2 décembre 1852 lorsque Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République française, devient Napoléon III, empereur des Français. Ce gouvernement de type Monarchie constitutionnelle a été dissout en 1870.
  • (3) Parfois orthographié ‘‘Tropmann’’.
  • (4) Certains documents le disent né à Cernay.

4.- LE POSTE D’OBSERVATION

Il faut monter au site du Herrenfluh par le chemin du même nom, à partir de la route D 431, pour découvrir cet ouvrage militaire, qui est dans un état exceptionnel de conservation : un poste d’observation pour l’artillerie française, qui fut utilisé au début de la Première Guerre Mondiale, lors des combats qui se sont déroulés sur la toute proche montagne du HWK, Hartmannswillerkopf, longtemps appelée ‘‘Vieil Armand’’ par ceux que les noms originels rebutent, surtout quand ils ont une consonance germanique.

Un observatoire situé à proximité du HWK était essentiel à l’armée française : relativement abrité, lui seul permettait d’observer les tranchées allemandes sur la montagne ; lui seul permettait de surveiller les routes reliant les villes, villages et hameaux (alors allemands) situés en contrebas, et qui étaient, du nord au sud : Soultz, Jungholtz, Wuenheim, Ollwiller (3), Hartmannswiller (2), Bertschwiller (3), Berrwiller, Hirtzstein (3), Wattwiller, Uffholtz, Cernay et Sandozwiller (3) ; de surveiller les gares de Cernay, Wittelsheim et surtout Bollwiller, d’où partait la voie ferrée montant vers Guebwiller et la vallée de la Lauch ; et de repérer les canons allemands cachés un peu partout, et notamment dans la forêt du Nonnenbruch, où se trouvaient les pièces les plus dangereuses.

L’ancien poste de commandement de la section du RAM, qui servit de premier abri d’observation pour l’artillerie française. Ce poste, vu depuis la tranchée qui permettait un accès relativement à couvert, a été plusieurs fois bombardé, détruit et reconstruit. (Photo archives LTD RANDO)

L’ancien poste de commandement de la section du RAM, qui servit de premier abri d’observation pour l’artillerie française. Ce poste, vu depuis la tranchée qui permettait un accès relativement à couvert, a été plusieurs fois bombardé, détruit et reconstruit. (Photo archives LTD RANDO)

Fin janvier 1915, les deux jeunes aspirants (4) Martin et Jacquard reçoivent l’ordre, avec quatre officiers du 8è RAP (régiment d’artillerie à pied), de quitter le camp retranché d’Épinal et de gagner le front d’Alsace, où ils sont affectés à l’observatoire de Herrenfluh. Ils passent en camion par le Bussang enneigé, descendent jusqu’à Willer-sur-Thur (toute la vallée de la Thur est alors contrôlée par les Français), et grimpent enfin, à pied, jusqu’au col de Pastetenplatz, où se trouve leur ‘‘cagna’’ (5), en fait une simple cabane en bois. Ainsi commence une aventure étonnante et peu connue. Après une nuit sur la paille, réveil à 5 heures, et le groupe se met en marche vers l’observatoire de Herrenfluh. Au bout d’une heure et demie de progression pénible dans la neige, sur les sentiers en corniche du Glaserberg, ils arrivent au pied du rocher portant les ruines du château féodal, et de là découvrent le Hartmannswillerkopf. Puis ils descendent jusqu’au poste de commandement de la section du RAM, régiment d’artillerie de montagne, qui leur servira d’abri pour l’observation, en attendant mieux. ‘‘C’est un trou de 2 mètres carrés, profond de 1,50 m environ, raconte l’aspirant Martin, couvert de gros rondins et de pierres. Trois ou quatre marches glissantes, 2 embrasures pour voir le paysage, de la paille au fond du trou pour avoir moins froid aux pieds, voilà tout’’. Juste quelques mètres en-dessous, deux petits mortiers crachent des obus explosifs sur des maisons de Wattwiller, pour tenter de détruire une mitrailleuse allemande. Plus tard, les observateurs du Herrenfluh auront droit à leur propre abri. ‘‘Je choisis l’emplacement contre un énorme rocher, qui nous protégera des coups venant du nord-est’’, précise l’aspirant Martin. Car les Allemands bombardent sans répit les pentes du Herrenfluh !

Quant aux gros canons français, ils sont de l’autre côté, dans la vallée de Thann. Entre le Pastetenplatz, l’observatoire du Herrenfluh et le Central Artillerie de Willer-sur-Thur, les liaisons se font par téléphone, grâce au central installé au Camp Turenne. Mais les lignes sont souvent défectueuses ! Pour tirer sur un abri allemand de la cote 425, au-dessus de Steinbach, ou tenter de détruire la redoutable batterie allemande qui se trouve contre le mur du cimetière de Berrwiller, il faut commencer par estimer l’angle de tir, au moyen des jumelles d’artilleur ; puis communiquer ce réglage par téléphone aux artilleurs, dans la vallée de Thann ; et attendre que le premier obus passe au-dessus des têtes françaises, avant d’observer le résultat, en contrebas. De nombreuses corrections sont nécessaires, et il faut souvent une dizaine d’obus pour atteindre un objectif. Ou au moins pour le réduire au silence durant quelques heures, voire jusqu’au lendemain. ‘‘Lorsque les obus français filent ensemble, par trois ou quatre, au-dessus de notre montagne, on dirait une rumeur d’orage dans les nuées’’, écrit le jeune artilleur. Mais, parfois, les obus français, réglés trop court, tombent sur les tranchées françaises, et les effets provoqués par ces erreurs, évidemment involontaires, sont catastrophiques… Chaque soir, il faut rentrer dormir sur la paille à Pastetenplatz, et chaque matin, repartir au Herrenfluh, dans ce que l’aspirant Henri Martin appelle ‘‘l’observatoire alpin’’. Trois heures de marche, pour une bonne dizaine d’heures d’observation, qui vont bientôt (en fait, il leur faudra attendre trois mois !) se dérouler dans leur nouvel abri du Herrenfluh, ‘‘derrière le rocher’’, encore en construction. Le seul moyen de repérer les batteries allemandes, c’est de regarder au bon moment et au bon endroit : chaque tir déclenche en effet une brève et courte fumerole ! Avec un peu de chance, si le fil du téléphone n’est pas coupé, on peut transmettre les coordonnées du canon ennemi à Central Artillerie : lorsqu’une batterie est prête et approvisionnée en munitions, le tir y est rapidement ordonné.

Lorsque le fil du téléphone est coupé, ce qui arrive souvent avec un éclat d’obus ou par la chute d’une branche, un soldat sort du poste d’observation, pour réparer le fil au plus vite. Depuis le poste, les observateurs notent tout ce qu’ils voient, entendent et mesurent.

TOUT CE QUE VOUS VOULEZ SAVOIR SUR LE HERRENFLUH

L’aspirant Martin détaille la construction du nouvel équipement au Herrenfluh, qui comprendra trois parties : un observatoire, un boyau de communication, et un abri blindé, le tout en utilisant les dispositions naturelles du terrain. L’observatoire devra être enterré, et aussi confortable que possible ; il devra être muni de visières d’observation, et rendu extérieurement invisible de l’ennemi (même de ses aéronefs), au moyen de branchages et de gazons. L’abri blindé devra pouvoir résister à un bombardement et permettre le couchage d’au moins deux hommes ; durant les années suivantes, les Français ont même réussi à creuser dans le roc un abri recouvert de rails. Quant au boyau de communication, il demandera une construction moins soignée.

Le jeune observateur-artilleur est un privilégié. Pendant que les soldats se font hachés menus par milliers sur les pentes et au sommet du HWK, lui, bien à l’abri dans sa ‘‘cagna’’ de Pastetenplatz, écrit à ses parents. Extrait : ‘‘J’occupe un poste admirable, d’où je vois tout ce qui se passe dans le secteur. Ma mission est de regarder et de signaler tout ce que je vois, tout ce qui remue jusqu’à l’horizon. Il faut y regarder de près pour savoir où sont les batteries allemandes. Une légère et fugitive fumée, au loin, sur les bois ou dans les vergers, et à la nuit tombante, des lueurs : c’est tout.’’

La construction du nouvel abri avance, mais très lentement. Le 20 février, le jeune aspirant note dans son rapport : ‘‘Il me paraît absolument nécessaire que le poste d’observation d’Herrenfluh soit doté, le plus tôt possible, de jumelles ou d’une lunette de batterie’’. Pour ses observations, il ne dispose en effet que de jumelles prêtées par un officier d’artillerie de montagne.

Un peu en contrebas du poste RAM, le nouvel ‘‘abri dans le rocher’’ et sa visière d’observation Est, avec son rail de couverture : résolument indestructible ! (Photo archives LTD RANDO)

Un peu en contrebas du poste RAM, le nouvel ‘‘abri dans le rocher’’ et sa visière d’observation Est, avec son rail de couverture : résolument indestructible ! (Photo archives LTD RANDO)

Quelques jours plus tard, dans un courrier, il écrit : ‘‘Nous avons construit un abri formidable, dans les rochers. Tous les 105 du monde peuvent frapper sur la roche ou fuser dans les ramures, on les écoute avec un plaisir pareil à celui du voyageur bien abrité de la pluie qui fouette sur un toit. Nous avons un petit fourneau qui réchauffe nos repas froids, et, s’il faut passer la nuit dans ce blockhaus, nous nous ferons avec des planches un lit que nous remplirons de paille. Je me plais beaucoup ici. Il flotte un parfum de printemps, l’alouette lulu chante, il fait doux, souvent, et l’air de la montagne est si pur, comme le ciel ! Quand luit le soleil, on se sent vivre, sur ces hauteurs vertes et parfumées, au grand vent qui chante dans les sapinières.’’

Mais l’aspirant Martin ne profitera pas longtemps de ce refuge : il va ensuite passer un mois dans un minuscule poste d’observation, presque en première ligne, juste au-dessus du col de Silberloch : nullement privilégié cette fois, il sera alors très proche des combats les plus féroces ! À la fin du mois de mars, cependant, il reçoit son ordre de retrait de l’Hartmannswillerkopf, demandé pour lui par ‘‘un bienveillant major’’ de Bitschwiller ; il est alors affecté à Kruth, dans la haute vallée de la Thur, au commandement d’un obusier de 155. Et aucune autre chronique ne parle plus de l’observatoire du Herrenfluh, jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale.

Sources :

  • ‘‘Le Vieil-Armand, Hartmannswillerkopf, 1915, journal de guerre’’, par le Lieutenant Henri Martin, du 8è RAP, détaché à la 26è batterie du 9è RAP (Editions Alsatia Colmar, 1979).
  • ‘‘Rôle et mission du Camp Turenne (anciennement Thomannsplatz) pendant la guerre 1914-1918’’, par Paul Kaemmerlen (Cernay, 1980).
  • ‘‘Le Camp de Turenne, un site stratégique de la guerre de 14-18’’, par Emmanuel Job et René Doppler, in Journal L’Alsace du 21/08/2014.
  • Wikipédia.

Notes :

  • (1) Le nom d’origine ‘‘Thomannsplatz’’ (place Thomann) vient du patronyme d’un ancien garde forestier, de l’époque où l’Alsace faisait partie de l’Empire allemand. Il a été débaptisé et francisé en ‘‘Camp Turenne’’ par les soldats français, mais seulement en 1916.
  • (2) Le Hartmannswillerkopf, montagne au nom si difficile à prononcer, est juste le sommet (Kopf, en allemand) situé au-dessus du village de Hartmannswiller (à l’origine, et toujours en allemand, ce nom désignait l’endroit -Willer- où habitait la famille Hartmann).
  • (3) Villages aujourd’hui disparus, ou annexés aux communes voisines.
  • (4) Aspirant : grade militaire, correspondant à un officier en formation.
  • (5) Cagna (nom féminin) : abri, en argot militaire.

5.- EN GUISE DE POSTFACE…

‘‘Gens d’Uffholtz et d’ailleurs, écoutez le passé de ce village. Mais prenez garde, parfois les histoires vraies et les légendes s’entremêlent…’’

‘‘Le Herrenfluh est ce tronçon de tour qui s’élève à 452 mètres au-dessus du niveau de la plaine, dans la forêt communale d’Uffholtz. Son isolement, à l’extrémité la plus avancée d’un rocher à pic de plus de 30 mètres de hauteur, en rend l’accès d’un côté assez difficile, tandis que de l’autre côté, un chemin, jadis carrossable si l’on s’en rapporte à son nom de Kutsche Schleiffen, conduit par une pente douce jusqu’au rocher. Une tradition rapporte qu’on correspondait de château à château, au moyen de trompes, du Herrenfluh au Hagenbach et au Hirtzenstein. La montagne devait être bruyante, à cette époque !

L’histoire sait peu de chose de ce manoir : il fut construit au milieu des domaines de l’abbaye de Murbach par Jean de Saint-Amarin, surnommé le Vent du Nord (Nord-Wind), qui en reçut l’investiture en 1312. Ne croyant pas son droit suffisamment établi, en raison des contestations qui s’étaient élevées entre les Ferrette-Murbach et leurs sous-feudataires, Jean de Saint-Amarin se fit délivrer la même année par Ulrich de Ferrette, une nouvelle investiture, avec réserve de retour à l’abbaye en cas de décès sans enfants.

On raconte aussi cette légende de la demoiselle du Herrenfluh : depuis fort longtemps, ce château est habité par le génie des ruines ; souvent, il descend de la montagne sous la forme d’une jeune fille brandissant les clés de sa tourelle. Le pâtre de la vallée l’a mainte fois vue gravir la montagne ; souvent, sa mélodie plaintive arrive aux oreilles du chasseur attardé ; souvent l’air retentit d’un son argentin : c’est le bruit que font les clés lorsque la Schloss-Wibele, désespérée de ne pas trouver un libérateur, les jette sur le coffre renfermant ses trésors. A celui qui pourra dissiper le charme, appartiendront le cœur et la fortune de la châtelaine. Ah ! combien ne rapportent de la montagne qu’un bouquet d’églantines et de groseilliers sauvages. Pour libérer cette jeune fille, cette ‘‘dame blanche’’ condamnée à errer pour l’éternité, il faut réussir à lui prendre ses clés, juste au moment où elle les jette sur son coffre, avant de se transformer en dragon. Qui la délivrera ?’’

Sources :

  • Gabriel Gravier, ‘‘Légendes d’Alsace, Tome II’’, Coll. du Mouton Bleu, Belfort (1987).
  • Lecture de la douzième Fenêtre du Festival 2007 ‘‘Les Fenêtres de l’Avent’’ d’Uffholtz : texte écrit et arrangé par Geneviève Candau.

Merci !

Merci à Serge : en me prêtant le ‘‘Journal de guerre’’ du lieutenant Henri Martin, il m’a donné envie de faire des recherches sur le Herrenfluh. Merci à Cédric, qui m’accompagne parfois dans mes randonnées et est venu avec moi à la découverte du Herrenfluh. Un merci particulier à Béatrice, qui a bien voulu relire et corriger mes textes, avec toute l’attention requise.