La randonnée R 07 ‘’Grand Ballon : le grand défi !’’, publiée sur ce blog le 25 juin dernier, passait à l’aller comme au retour par le château de Freundstein. J’annonçais même que « ce château devrait faire l’objet d’un prochain article sur ce blog ». Et hop, c’est fait !
Mais d’abord, on dit château du Freundstein, ou château de Freundstein ? Dans la littérature, on trouve les deux, et les plus malins écrivent simplement : « château Freundstein » ! Selon certains, du ferait référence à un lieu (château du Haut-Koenigsbourg), tandis que de se référerait à un patronyme (château de Ferrette). D’autres disent que du, c’est la contraction de ‘de-le’, alors que de, c’est tout le reste. Tous ignorent les contre-exemples : que chacun dise et écrive donc pour le mieux, pour nous ce sera de, en principe…
Description, accès :
Le Freundstein est le plus haut château-fort d’Alsace, perché sur un rocher qui culmine à 927 mètres d’altitude (1), au bord de la Route des Crêtes, sur le territoire de la commune de Goldbach-Altenbach. L’accès n’est possible qu’à pied, par le sentier de grande randonnée GR5 (repéré par le Club Vosgien avec un rectangle rouge), soit depuis le col Amic (compter 20 mn de montée), soit depuis la route D431, deux virages en contre-bas de la ferme-auberge du Freundstein (il ne faudra ici que 10 mn de montée). Mais quelle déception en arrivant là-haut : la ruine est en fort mauvais état, il ne subsiste qu’un pan de mur du haut château percé de deux fentes d’éclairage, reste d’un donjon qui a aussi servi de logis (l’allure générale semble indiquer un plan quadrangulaire), et quelques retranchements taillés dans le rocher de la basse-cour, sans mur d’enceinte visible. En cherchant bien, on devrait aussi trouver les vestiges de l’observatoire français aménagé dans une galerie du roc (lire ci-dessous). L'escalier est également détruit, rendant l'accès au château périlleux ; comme les ruines sont fragiles, il faut faire attention où on marche, sans escalader les murs ni arracher ou déplacer de pierres. Bref, la « visite » de ce château s’effectue sous l’entière responsabilité de chacun, et il est recommandé de bien surveiller les enfants !
Précisons encore que le Freundstein fait bien sûr partie du tout nouveau « Chemin des Châteaux-forts d’Alsace » (450 km, 80 châteaux, 28 étapes et 1 500 panneaux, pour un coût de 80 000 €), inauguré il y a tout juste un an.
L’histoire :
Ceci étant posé, voici l’histoire de ce château. Construit vers la fin du 13ème siècle, ce château appartenait à deux propriétaires, ce qui n’est pas banal : l'évêque de Strasbourg et l'abbaye de Murbach. En fait, ce château est construit à la limite entre le territoire de l’abbaye et celui de l’évêché de Strasbourg ! Cité pour la première fois en 1297, il est donné en fief à une famille de Guebwiller, connue sous le titre de Waldner de Freundstein, ou Waldner von Freundstein (2). Cette famille de ministériaux (3) a pour charge de surveiller les forêts de l’importante abbaye de Murbach, située à environ 6 kilomètres de la ville de Guebwiller. Elle se reconnait vassale des deux en faisant oblation de la moitié du Freundstein à chacun, c’est-à-dire qu’elle cède son château à l’évêché et à l’abbaye qui le lui retourne sous forme de fief. C’est compliqué, d’accord, mais il y a un avantage : relevant de deux suzerains, le château a joui d’une indépendance réelle au profit des vassaux issus de la famille des Waldner de Freundstein. Dit comme ça, c’est naturellement bien plus clair !
Le château est fortement endommagé par un séisme en 1356, mais les embrouilles arrivent plus tard, car après la colère de la terre, voici venir les querelles entre les hommes. En 1441, le sire zu Rhein enferme dans ce château, avec l’accord des Waldner, deux bouchers de la ville de Mulhouse (une vraie provocation !), et cette dernière assiège la place pour libérer ses deux bourgeois. En 1490, les troupes de l’évêché de Strasbourg assiègent à leur tour le Freundstein (en fait, les épiscopaux de Soultz se chargent de la mission), l’évêque étant en conflit avec les Waldner. Malgré la situation isolée du château, on ne s’y ennuyait guère !
En 1525, ce sont les paysans insurgés qui, à l’occasion de la Guerre des Paysans (4), incendient le château, qui est reconstruit ensuite rapidement (1529).
Nouvelle catastrophe naturelle : l’édifice est détruit par la foudre le 17 août 1562. L’incendie dura plusieurs jours et fut visible depuis la plaine d’Alsace !
Sur ce dessin, daté de 1570, on voit que le logis seigneurial était une tour d’habitation. Ce qui apparaît être la façade Sud-Ouest semble percée de deux archères au niveau inférieur, une troisième (à moins qu’il ne s’agisse d’une fente d’éclairage) se trouve au premier niveau. Quant à la façade Est, moins exposée aux tirs d’un éventuel assaillant, elle apparaît percée d’une porte d’entrée au rez-de-chaussée et possède au moins une fenêtre. On notera que la première terrasse portant certainement la basse-cour, en avant du logis seigneurial du côté Sud-Est, est inexistante ou à peine esquissée.
Après avoir été restauré au 16ème siècle, il sera finalement et définitivement abandonné peu de temps après, les Waldner de Freundstein préférant des châteaux en plaine, plus confortables.
Le Freundstein à la fin du XIXe siècle avec, au fond le Grand Ballon, alias Ballon de Soultz ou Ballon de Guebwiller. Gravure du lithographe Isidore Laurent Deroy, imprimé par Frick Frères, rue de l'Estrapade, près du Panthéon, à Paris.
Les deux cartes-postales ci-dessous, non datées, datent sans doute de la même époque.
L’histoire du château aurait pu s’arrêter là, mais c’était sans compter sur sa position stratégique. Pendant la Première Guerre Mondiale, celle-ci fut mise à profit comme poste d'observatoire militaire de l’armée française, car le château était idéalement situé non loin de la ligne de front, tout comme le Herrenfluh (5). C'est dans ce contexte que ses meurtrières furent agrandies, afin de pouvoir bénéficier d'une meilleure vue sur l'ennemi, et que fut construit par la suite un observatoire aménagé dans une galerie du roc, là aussi comme au Herrenfluh. Du coup, le château a été bombardé à plusieurs reprises et durant trois années par l’armée allemande, et sévèrement détruit. Un château que rien n’aura décidément épargné, ni la nature, ni les humains !
Ce plan d’E. Stamm de 1920 ne s’intéresse pas à la ruine en elle-même, mais aux fortifications françaises de 14-18 : l’abri des observateurs, dont l’accès se faisait côté sud-ouest, l’observatoire n°1, orienté vers le Vieil Armand (côté sud-est), et l’observatoire n°2 orienté vers Soultz (côté est). Emplacement des vestiges de la façade sud-ouest encore conservée de la tour d’habitation. Elle est percée de deux archères à niche dont les ouvertures de tir ont disparu.
Le château est classé monument historique depuis 1922.
Plus récemment, le secteur a été classé en ZNIEFF (zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique) sous le n° régional 1688242, par INPN, Inventaire National du Patrimoine Naturel. Voici quelques détails du document :
Sources :
Notes :
RAJOUT 2021
Publication de l’ami Jean-Marie NICK (administrateur de ce Groupe Public 4,2 K membres) sur la page Facebook ‘‘Le Journal Historique de l'Alsace’’ en date du 14/03/2021 :
L'ALSACE ET SON PASSÉ : ce que Georges SPETZ (1844-1914) a dit des ruines du FREUNDSTEIN :
«Au pied du Grand Ballon, sur un roc escarpé
Le Freundstein se dressait, de bois enveloppé ;
Forteresse imposante, il semblait en sa masse,
Quelque abri de Titan, suspendu dans l'espace.»
(in "Légende d'Alsace", "Revue alsacienne illustrée" 1905).
→ Natif d'Issenheim (Haute-Alsace), Georges Spetz fut un érudit éclectique et un artiste polyvalent : écrivain, poète, compositeur, peintre, industriel et grand collectionneur. Parmi ses très nombreux écrits, il convient de citer "Légendes d'Alsace" (cité plus haut) et "L'Alsace gourmande" (Revue Alsacienne; 1914).
→ Le château du Freundstein est situé en Haute-Alsace, à cheval sur les bans de Goldbach-Altenbach et de Soultz. Il est, à 948 m d'altitude, le château fort le plus haut d'Alsace. Il apparaît dans les textes en 1297 en tant que propriété des Waldner, ministériels forestiers de la principauté abbatiale de Murbach et de la principauté épiscopale de Strasbourg. Il est assiégé en 1441 par les Mulhousiens, en 1490 par les Strasbourgeois et en 1525 par les paysans en révolte qui l'incendient. Il est foudroyé et ravagé par les flammes le 17 août 1562. Le Freundstein reprend du service durant la première Guerre Mondiale comme observatoire français face au Hartmannswillerkopf (Vieil-Armand), ce qui entraîne la détérioration du terrain archéologique et la dégradation inéluctable de l'antique bâtisse.
LES PHOTOS :
Le Freundstein (Haute-Alsace, entre Grand Ballon et le Hartmannswillerkopf / Vieil-Armand) : le plus haut château fort des Vosges (Photo-drone Albert Speelmann, 2020).