Dans cet article, je souhaite revenir brièvement sur la chapelle du Freundstein, laquelle se trouve sur le parcours de la randonnée n°2 « MOLKENRAIN et FREUNDSTEIN », présentée il y a peu sur ce blog.
La brièveté du propos ne tient qu’aux trop rares informations disponibles sur cette chapelle, laquelle se situe tout près de la ferme-auberge du Freundstein, sur le ban de la commune de Willer-sur-Thur. En particulier, on ne trouve absolument aucun renseignement sur Internet, à part quelques photos. Toutefois, dans le très beau livre (*) « Willer-sur-Thur, entre Thur et Wissbach », dont le sous-titre est « Willer nous est conté » (collection Mémoire de Vies, 2013), un petit paragraphe y est consacré. Il dit juste ceci :
« La chapelle du Freundstein est située au pied du Riesenkopf, à 920 m d’altitude, non loin de la ferme-auberge, en direction du Camp Turenne (Thomannsplatz). Elle a été érigée par les militaires pendant la guerre de 1914-1918. Cette chapelle a été restaurée à plusieurs reprises et elle est entretenue par des bénévoles de Willer. Lors de la tempête du 26 décembre 1999, plusieurs sapins sont tombés tout près de la chapelle, sans l’endommager, à part quelques tuiles qu’il a fallu remplacer. »
Replongeons donc dans les horreurs de la Première Guerre Mondiale, et rappelons-nous que l’année 1915 a été particulièrement rude dans ce secteur et sur ce versant de la vallée de Thann. Le « central artillerie » de l’armée française était d’ailleurs installé à Willer-sur-Thur, et les gros obus allemands tirés soit depuis le Hartmannswillerkopf, soit depuis Berrwiller ou la forêt du Nonnenbruch à Cernay, pleuvaient régulièrement sur zone. Les soldats français, car c’est bien d’eux qu’il s’agit, devaient souvent implorer la protection divine, et les prêtres-soldats ne connaissaient guère de répit !
À la ferme-auberge du Freundstein, une personne de la famille Luttringer nous propose toutefois une autre version, qui retiendra également notre attention : selon elle, la chapelle aurait été construite de suite après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, en mémoire de l’équipage anglo-canadien du bombardier Halifax MZ-807 : cet avion, au retour d’une mission sur la Ruhr, s’est écrasé dans la nuit du 2 au 3 décembre 1944, sur ce même versant du Riesenkopf, tuant six des sept membres de l’équipage. Tous ces éléments figurent sur le monument au bord de la route des Crêtes, en contrebas de la ferme-auberge, et cette personne précise que l’avion se serait écrasé tout près de l’emplacement actuel de la chapelle.
Au bord de la Route des Crêtes, le monument de commémoration de la catastrophe. (Photo P.BR. 05/2016)
Quoiqu’il en soit, une chose est sûre : la chapelle ne date pas du début du 19ème siècle (1817), comme le proclame un papier accroché à l’intérieur, au-dessus de l’entrée. « Celui qui a écrit cela est sans doute un révisionniste de notre histoire locale », plaisante un des membres du comité de rédaction de l’ouvrage cité plus haut.
Nous reproduisons ci-dessous une photo non datée, extraite de ce même livre, et légendée : « La chapelle du front 14/18 ». On remarquera que la chapelle s’appelle Notre Dame de Freundstein : toute la partie avant ne tient que par deux pieux et une branche horizontale, et il n’y a des pierres qu’à l’arrière.
Dans son état actuel, la chapelle mesure, dans ses dimensions extérieures, 3m de profondeur pour 3m20 de largeur au niveau de l’ouverture, l’épaisseur des pierres étant d’une cinquantaine de centimètres. De l’extérieur, on voit que les pierres de la partie arrière sont grosses, et posées les unes sur les autres selon la technique des murs en pierres sèches. À l’avant par contre, les pierres sont plus petites et cimentées. Le toit est en tuiles à emboitement, sur une charpente en bois.
La décoration intérieure est sobre mais disparate, et la statue du Joseph à l’enfant ne doit rien à cette chapelle ! Aucun office n’y a jamais été célébré, sauf par des prêtres-soldats pendant la guerre. Des bénévoles de la commune continuent d’entretenir régulièrement l’intérieur de la chapelle et ses abords.
Ajoutons pour terminer que Willer-sur-Thur est particulièrement bien pourvu en édifices religieux catholiques, avec l’église Saint-Didier (qui bénéficie de l’opération « Églises ouvertes »), la statue de Saint-Joseph (« Kepfelseppi ») qui surplombe la commune, et la chapelle Saint-Nicolas, avec un Chemin de Croix stylisé peint sur les murs intérieurs, ce qui est unique ! Pour peu qu’on sache marcher, on aura fait le tour de ces trois édifices en une heure, et on ne le regrettera pas ! Au retour, une fois calé sur Internet, on trouvera tous les renseignements voulus grâce à son moteur de recherches favori…
Remerciements :
(*) Disponible en mairie.
Remarque
Au moment où je publiais cet article, je l’ai aussi envoyé par mail à un ami, que je sais attentif aux questions de l’histoire. Voici la réponse qu’il m’a mailée, un peu longue mais fort intéressante :
« Cher Pierre
Les renseignements que tu as obtenus sur cette chapelle sont effectivement succincts ! Cela signifie qu’elle ne marque ni un hameau disparu, ni un lieu de pèlerinage (on s’en doutait), et qu’elle n’a pas davantage été construite par un riche industriel de la vallée ; on n’imagine pas non plus le fermier du Freundstein bâtissant sa propre chapelle, à l’écart dans la forêt ! L’idée (évoquée par une personne de la famille Luttringer) de garder en mémoire la catastrophe aérienne de ce bombardier anglo-canadien en 1944 est intéressante, mais elle ne tient pas la route, pour deux raisons : d’une part les familles des disparus (et celle du seul rescapé) auraient eu beaucoup de mal à localiser cette chapelle, qui n’est ni indiquée ni référencée ; d’autre part, lors de l’inauguration de la stèle au bord de la D431 (Route des Crêtes) en mai 2006 - il y a tout juste 10 ans -, en présence du seul rescapé de la catastrophe (décédé depuis), personne n’a jamais mentionné cette chapelle ! Elle n’a donc rien à voir avec la guerre 39-45. Pour info, l'Association des Amis de l'Histoire de l'Aviation en Alsace s'était investie dans des recherches matérielles sur le site du crash (je crois qu’un livre a même été publié), qui serait situé à une centaine de mètres au-dessus de l'actuelle ferme-auberge du Freundstein - et c’est d’ailleurs le fermier qui avait recueilli et soigné le jeune aviateur-mitrailleur canadien (1), dans la nuit du 2 décembre 1944, peu avant minuit.
La chapelle du Freundstein a bien été construite durant la Première Guerre Mondiale par des soldats français, l’armée française occupant toute la vallée de Thann (pourtant située en territoire allemand) dès la fin de l’année 1914 (2). Le proche Camp Turenne (à l’époque Thomannsplatz), énorme complexe militaire logistique et sanitaire de l’armée française, transit obligé du ravitaillement en munitions et nourriture pour le HWK, ne possédait à ma connaissance aucun lieu de culte, et cette toute proche chapelle, relativement abritée « du bon côté », prenait dès lors toute sa signification. J’ajoute qu’il existe, pas très loin du Freundstein, une autre chapelle, la chapelle Notre-Dame de la Victoire, dite chapelle Sicurani : bien plus grande, elle a été construite en 1916 sur le flan nord-ouest du HWK, en direction du Col Amic, par un bataillon de chasseurs alpins, en mémoire de leur capitaine (Sicurani) et de leurs camarades, décédés dans le secteur.
Bien cordialement à toi, René »
(1) Âgé de 19 ans, gravement brûlé, il était le seul survivant. Des habitants de Willer-sur-Thur l’avaient ensuite pris en charge, en le cachant et le soignant.
(2) En fait, M. Gérard Wucher me précise que toute la vallée de Thann a été libérée dès le début du mois d'août 1914, désolé René !